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aux quat' Sardines
20 janvier 2018

Bernica ou l'art de voyager par le dessin et la littérature

bernica_thonier_senneur

découpe du thonier senneur BERNICA, de l'armement réunionnais Sapmer construit en 2007 par South East Asia Shipyard (SEAS), filiale du chantier Piriou au Vietnam.

Baptiser un navire n'est pas anodin. L'attachement à un lieu, à l'histoire d'une famille, ici en l'occurence celle des héritiers des Sucreries de Bourbon (Jacques de Chateauvieux) dénote l'intérêt pour un ancrage, la volonté de transmission au sein d'un environnement.

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Ravine Bernica, dessin de E. de Bérard d'après une lithographie de Roussin

George Sand fait paraître en 1832 son premier roman féministe intitulé Indiana dont la chute de l'intrigue se déroule dans une ravine longuement décrite. N'ayant pas voyagé elle-même en océan Indien, on peut penser que l'admiration réciproque avec Charles Leconte de Lisle né à Saint Paul de la Réunion (1818-1894) auteur, poète et premier parnassien l'ait inspirée dans ses évocations.

« Cette île conique est fendue vers sa base sur tout son pourtour et recèle dans ses embrasures des gorges profondes où les rivières roulent leurs eaux pures et bouillonnantes; une de ses gorges s'appelle Bernica. C'est un lieu pittoresque, une sorte de vallée étroite et profonde, cachée entre deux murailles de rochers perpendiculaires dont la surface est parsemée de bouquets d'arbustes saxatiles et de touffes de fougère. Un ruisseau coule dans la cannelure formée par la rencontre des deux pans. Au point où leur écartement cesse, il se précipite dans des profondeurs effrayantes et forme au lieu de sa chute un petit bassin entouré de roseaux et couvert d'une fumée humide. Autour de ses rives et sur les bords du filet d'eau alimenté par le trop plein du bassin, croissent des bananiers, des letchis et des orangers dont le vert sombre et vigoureux tapisse l'intérieur de la gorge...» - (extrait du blog Latitude 21° 5 ' Sud - Crosnierlyd)

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Adolphe LE ROY peintre français né à St Denis de l'île Bourbon (1832 - 1892) Le Bernica

 

Charles Leconte de Lisle dédie lui-même un poème à ce paysage insulaire dans son recueil Poèmes barbares en 1858. 

Le Bernica

 

Perdu sur la montagne, entre deux parois hautes, 

Il est un lieu sauvage, au rêve hospitalier,  

Qui, dès le premier jour, n'a connu que peu d'hôtes ; 

Le bruit n'y monte pas de la mer sur les côtes, 

Ni la rumeur de l'homme : on y peut oublier.

 

 

La liane y suspend dans l'air ses belles cloches 

Où les frelons, gorgés de miel, dorment blottis ; 

Un rideau d'aloès en défend les approches ;  

Et l'eau vive qui germe aux fissures des roches 

Y fait tinter l'écho de son clair cliquetis.

 

 

Quand l'aube jette aux monts sa rose bandelette, 

Cet étroit paradis, parfumé de verdeurs,  

Au-devant du soleil, comme une cassolette, 

Enroule autour des pics la brume violette 

Qui, par frais tourbillons, sort de ses profondeurs.

 

 

Si Midi, du ciel pur, verse sa lave blanche, 

Au travers des massifs il n'en laisse pleuvoir 

Que des éclats légers qui vont, de branche en branche, 

Fluides diamants que l'une à l'autre épanche, 

De leurs taches de feu semer le gazon noir.

 

 

Parfois, hors des fourrés, les oreilles ouvertes, 

L'oeil au guet, le col droit, et la rosée au flanc, 

Un cabri voyageur, en quelques bonds alertes, 

Vient boire aux cavités pleines de feuilles vertes, 

Les quatre pieds posés sur un caillou tremblant.

 

 

Tout un essaim d'oiseaux fourmille, vole et rôde 

De l'arbre aux rocs moussus, et des herbes aux fleurs : 

Ceux-ci trempent dans l'eau leur poitrail d'émeraude ; 

Ceux-là, séchant leur plume à la brise plus chaude, 

Se lustrent d'un bec frêle aux bords des nids siffleurs.

 

 

Ce sont des choeurs soudains, des chansons infinies,  

Un long gazouillement d'appels joyeux mêlé,  

Ou des plaintes d'amour à des rires unies ; 

Et si douces, pourtant, flottent ces harmonies,  

Que le repos de l'air n'en est jamais troublé.

 

 

Mais l'âme s'en pénètre; elle se plonge, entière,  

Dans l'heureuse beauté de ce monde charmant ;  

Elle se sent oiseau, fleur, eau vive et lumière ; 

Elle revêt ta robe, ô pureté première ! 

Et se repose en Dieu silencieusement.

 

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